Les interviews:

Il arrive, parfois, que les interviews, "accordées", par les journalistes subissent quelques modifications à la parution des articles. voici donc les réponses, "réelles", émises par Paul Melki:

 

 

Elle: 29août 2004

 

-Quels sont les écrivains que vous admirez le plus ?

« Vive Dumas ! et son aventurier roman, « Les 3 mousquetaires ».Mine de rien, je me suis passionné pour Harry Potter, en français et en anglais, mais je ne le montre pas trop. Mon ami, le poète guadeloupéen Raymond Joyeux, par ses mots justes et vivants chante la mer et me la fait vivre avec intensité. L’écriture, en elle-même, d’où qu’elle vienne, me pénètre dès qu’elle atteint mon cœur, mon intelligence. J’aime quand elle joue à se montrer sous toutes ses capacités, pour se piéger et finalement, parfois, toucher juste. »

 

-Comment travaillez vous ? ( élaboration des phrases, ratures , reprise des textes.) et quand ?

« Depuis l’instant où l’idée me surprend, je lie en moi les conséquences de cette idée mais je m’acharne à la laisser libre afin que l’écriture garde sa pulsion de jaillissement, de plaisir. J’écris quand les êtres qui m’entourent ont du temps à m’accorder et de la patience et du savoir-faire et… J’aimerais bien un peu plus de discipline mais comment leur demander encore plus de contraintes. »

 

-Le fait que vous ne puissiez pas travailler dans l'intimité et la solitude est-il un vrai handicap ? Comment le surmonter ?

« Mon esprit aborde dans la solitude toutes les grandes lignes de ce que je veux dire. Mon temps est compté ! Ecrire me libère, heureux, je suis débarrassé d’un quelconque handicap. »


-Pourquoi cet anglais mêlé au français, à cause ou grâce à votre mère ?

« Son amour pour moi a conduit ma mère à défendre la reine patrie dans mon éducation. »

 

- Est ce que vous avez mal au corps ?

Notre corps nous instruit constamment de son désir de vivre. Quelles que soient ses manières de s’exprimer, je l’adopte. »

 

-Est ce que vous vous interessez à d'autres écrivains malades et immobiles (Joe Bousquet blessé à la guerre de 14-18 mais il pouvait parler, Jean-Dominique Bauby atteint d'un locked in syndrom etc.), qu'en pensez vous ?

« J’ai peur de dire des bêtises sur ce sujet. La détresse du handicap ne tient pas seulement à l’état du corps mais plus pernicieusement à la peur qu’il suscite. Une peur qui nous exclu et nous infériorise. J’ai peur, moi, que le livre d’un handicapé ne soit que le livre d’un handicapé et non d’un écrivain. On ne fait pas ce coup là à ceux qui semblent avoir tous leurs moyens. »

 

-Pensez vous que votre livre va avoir un impact sur la vie des handicapés (impossible de rester tranquilles en les pensant idiots), est-ce aussi une lutte contre ce microbe de l'ignorance ? Voudriez vous être un leader, un porte-parole de leur cause ?

« Savoir que l’on est condamné à vie change toutes les perspectives de notre existence. Le livre que vous avez partagé avec moi, n’a pas la prétention d’être un manifeste du parti des handicapés. Ni les mots, ni les pensées ne pourraient me damner à un quelconque destin de servitude. Sans fausse modestie, je ne suis pas un porte-parole, la mienne étant trop silencieuse. Si la communauté des handicapés cherchait un leader, il y aurait suffisamment de brillants esprits pour les satisfaire. Je crois que les handicapés, aujourd’hui se cherchent eux-mêmes. Malheureusement pour la communauté ses préoccupations quotidiennes laissent peu de place aux relations publiques. Personne ne peut imaginer le fardeau des handicapés multiples. La vie est une étrange rencontre avec soi-même. On oublie si facilement le miracle d’un corps harmonieux. Oui ! Je souffre et le temps d’insouciance est rare.La pitié est inutile, la compassion est bonne pour celui qui l’exerce.Si vous rencontrez un individu de mon acabit, n’hésitez pas un instant à partager votre joie de vivre. Si la peur, le doute ou la tristesse vous handicape, n’importe quel élégant prétexte suffira pour vous échapper. Je suis incompréhensible et les réponses à toutes vos questions risquent de l’être aussi. Etant persuadé que vous saurez me pardonner, je vais tenter d’exercer mon écriture dans ce labyrinthe de sens sous les propos. »

 

-Qu'avez vous pensé, ressenti, lors de la première séance d'écriture assistée ?

« Retour en arrière sur les roues de mon fauteuil spatio temporel et je suis à vous. Mon fauteuil est arrivé à ce vendredi 27 novembre 1998, j’avais 12 ans. Mes parents sont angoissés devant Nathalie. Machinalement, je donne la main à l’orthophoniste. Elle isole mon index au dessus d’un petit clavier, je me contracte, un mouvement réflexe. Je n’attends rien. Bizarrement mon esprit se détend facilement. Nathalie est si douce, si calme, si sûre d’elle. L’impression que cela ne peut pas rater, une confiance totale. Je crois me souvenir que je n’étais même pas étonné d’entr’apercevoir les lettres s’afficher sur l’écran du petit clavier. Ce qui me surprenait, c’est ce que j’écrivais. Vitaux, les mots balisaient les étroits chemins de l’essentiel de ce que je vivais et les éclairaient, les révélaient. A la lumière j’apparaissais. Bonne ou mauvaise nouvelle, tout n’était que confusion. Les sursis étaient finis, il allait falloir tenir compte de moi. »

 

-Ce livre, est ce une manière de refuser de " grandir frauduleusement , en cachette ?

« Vraie vérité serait de dire en ghetto, la loi de sélection se vérifie partout .Grandir, clandestinement ou non, pour un golem devient impossible si les germes de l’évolution personnelle restent stériles. De là à penser que ce livre est le fruit de cette impasse me semble abusif. Ce livre vient du chaos de chair, d’émotions murées dans le silence. La seule planification dont je peux me vanter consiste en une obstination à ne pas disparaître. »

 


-Comment devenir indépendant, " sans le père " quand on est dépendant pshysiquement ?

« Papa s’applique à me laisser le champ libre en dehors des fonctions obligatoires. Montrez-moi un être qui ne soit pas dépendant. Il reste à mourir d’effroi si l’illusion du désir d’indépendance persiste et que l’absolu désespoir ensevelit la moindre tentative d’existence. Affligeante destinée si on se situe dans une logique de normalité. Si vous prenez une année de mon quotidien et un échantillon de mes propos pour faire une synthèse intelligible, vous serez quand même dans votre monde, pas dans le mien. Je suis au seuil de votre monde, l’urgence n’est pas là où vous l’imaginez. »

 

-Vous pensez que vous avez donné un sens à la vie de vos parents.. Quand et comment est ce que cette idée vous est venue ?

« Un avenir claudiquant pour mes chers parents…Si c’est cela que je leur ai donné… Malheur à moi ! Quand j’ai écrit, malgré moi, cette phrase, j’étais dans un moment où je voulais m’imposer, j’avais 14 ans, je mettais dans la balance les avantages en ma faveur. J’aurais très bien pu affirmer le contraire à d’autres moments. Ce sont seulement des instants de vie. »

 

-Un livre peut-il être un moyen de séduction des femmes ?

« Difficile de commenter ce sarcasme que le sort, sans dérision, m’impose. Tout est bon pour séduire. La nature est si inventive dans ce domaine qu’elle effleure parfois l’imposture. Demandez aux orchidées…Libre à ce livre de séduire, ma personne aura plus de difficulté. Si cela arrivait, croyez-moi, je ne me plaindrais pas. La jeune femme qui dépasserait la vision primaire, ne pourrait être qu’exceptionnelle. J’ai honte de faire ma propre pub mais on m’affirme que je suis plutôt mignon. »

 

-Travaillez vous à d'autres textes ? De quoi parlent-ils ?

« Mes textes les plus fréquents sont des nouvelles. Marcher lentement vers un autre livre, une sorte littéraire plus fictionnelle, sans abandonner mon Journal de bord. »

 

-Beaucoup de gens pensent qu'un écrivain doit aussi savoir écrire de la fiction. Moi je pense que ce n'est pas nécessaire forcément. Et vous ?

« J’aime dire n’importe quoi et écrire des histoires me donne plus de possibilités fantasques. Jouer avec des mots que je ne vivrai jamais. Je ressens tout de même, par honnêteté, que mes fictions ressemblent à mes rêves, aussi je n’ai pas l’impression d’écrire différemment que pour mon Journal. C’est la nuit de ma vie où je peux réaliser ce que le jour m’interdit. »


Journal du Dimanche: 17 septembre 2004

 

-Quels sont vos écrivains préférés? Pourquoi vous ont-ils touché?

« J’ai plutôt des regrets en matière de lecture. Je suis materné par une lectrice lovée au pied de mon lit et qui m’a lu les meilleurs livres, de tous les genres mais je ne peux pas lire moi-même. Toujours en tête le clinquant Dumas, si émouvant dans ses vertiges aventuriers. Shakespeare, au plus profond ressenti du tourbillon humain, tant et tant d’auteurs m’ont offert leur palette…sûrement trop pour ne pas paraître vantard. Finissons ma confession par mon éminent paternel qui m’a enseigné la double, la triple lecture. »

 

-Quand écrivez-vous vos poèmes, votre journal? Avant ou après le lycée? Tous les jours?

« Pas de temps fixe pour l’instant. Au gré du moment possible, d’une communication lamentable avec l’extérieur et qui a besoin d’être approfondie, de mon besoin privé…Bref, d’occasion en occasion. Ce n’est pas neuf comme méthode mais tous les jours. »

 

-Avez-vous d'autres espaces de liberté, aussi importants que l'écriture?

« Liberté, Liberté chérie…Pour moi, la liberté est utopique, mon histoire l’est aussi…alors, peut-être un jour ? Espérons que vienne un preux chevalier, monté sur les épaules de Pallas Athénée, la guerrière, qu’il mitraille tous mes polichinelles briseurs de liberté et me sauve. C’est pas plus compliqué. »

 

-La Communication facilitée a changé votre vie. Ce changement a-t-il été rapide?

« Ma vie n’a pas vraiment changé, au sens pratique. Ce sont les gens autour de moi qui m’ont regardé d’abord, puis vu, puis écouté…Je me suis, sous leur regard de plus en plus chaleureux, épanoui, relaxé, lavé de mes propres soupçons d’arriération. Cela ne s’est pas répandu rapidement, le doute est coriace. »

 

-Tous ces mots, ces pensées étaient enfouis au fond de vous et ne demandaient qu'à sortir?

« Limpide ! Par Jupiter ! »

 

-Est-ce physiquement épuisant d'écrire?

« C’est encore plus épuisant de croupir. »

 

-Votre vie d'avant l'écriture... comment la qualifier? Prison, dépression?

« Pollution serait plus juste. On se pollue le corps, l’esprit devant l’impuissance face au miroir de vos êtres parfaits, vos capacités méga gigantesques, maladivement ignorées. »

 

-Vous dites dans votre journal: "J'écris, donc je suis. Comment est née cette vocation d'écrivain?
Dès l'instant où vous avez pu vous exprimer grâce à l'ordinateur ou bien avant?

« Je suis, pour les autres. Pour moi, il n’y a pas l’être et le non être. Je suis là et bien là, pas même OVNI. Je n’ai jamais eu la poisse d’être obnubilé par un avenir, quelconque. Avant je m’absentais dans des discours avec moi-même. Ecrivain était un souhait appuyé sur la capacité révélée et, bonne nouvelle, le bon génie de la lampe répond. »

 

- C'était important pour vous d'être publié, reconnu?

« Super primordialement important. Je ne suis pas reconnu sur mon aspect extérieur encore, peu m’y rencontre. Advienne la reconnaissance corporelle et je m’évanouirais de bonheur. »

 

-Journal intime, nouvelles, poésie... vous touchez à tous les genres littéraires. Lequel préférez-vous?

« Si un genre littéraire se donne des ailes pour se distinguer des autres, c’est qu’il a choisi la meilleure substance. Je ne vois pas pourquoi un livre policier ne comporterait pas des poèmes, au contraire, cela pourrait ajouter à l’énigme tout en dévoilant, en confiant des émotions que l’écriture informative ne pourrait qu’affadir. Les genres littéraires sont multiples pour servir de canaux convergeant vers un but : la peinture par petit bouts, appelés livres, à partir de soi-même, de l’ensemble de nos mémoires, sous tous leurs aspects, passé, présent, futur. »

 

-Vous pensez que vos parents, artistes tous les deux, vous ont transmis ce goût de l'art, de la liberté?

« Vive mes parents qui ont su mettre à profit leurs capacités. La danseuse connaissait le dur travail du corps, l’homme de théâtre avait creusé l’esprit, le manège infernal et prodigieux de la pensée. Ils m’ont donné de tout cœur leur amour et ça c’est la liberté. »

 

-Votre livre, c'est à la fois un cri d'amour pour vos parents et le coup de gueule d'un adolescent?

« L’amour sans coup de gueule m’aurait-il apporté autant ? J’en doute ! Le livre prend ma vie entre ses pages. Il est mon sauvetage dans le présent et son écho me libérera aussi longtemps qu’il résonnera. Ma volonté d’écrire encore et encore pourrait prolonger sa durée. »

 

-Comment avez-vous décidé de ne pas vous censurer? De raconter, par exemple, vos querelles avec votre père? Vos frustrations?

« Je n’ai rien décidé. La parole m’était donnée, je n’allais pas laisser passer l’occasion, je me suis engouffré. Mes parents ne m’ont jamais tenu rigueur de mes coups de gueule, nous étions trop heureux de ce dialogue, pas de temps à perdre avec les susceptibilités.»

 

-Vous dites: "Je veux être un porte-parole des jeunes handicapés, le Lulli du fauteuil roulant!" Qu'est-ce qui vous révolte le plus: qu'on n'aide pas mieux les jeunes handicapés à devenir plus autonomes? Qu'on ne leur offre pas un vrai futur?

« Bonne idée mais comment la réaliser ? Ma parole n’est pas suffisamment audible pour s’investir dans une lutte. J’ai dit cela par facilité, une révolte passagère. Ayez plus confiance en nous, pas seulement pour la normalité mais aussi pour les potentialités que nous pourrions développer au delà de nos difficultés. Faire des peintures, c’est bien mais si on veut aller plus loin, il faut nourrir l’esprit de tous les grands peintres. Enrichissez-nous ! Notre apparente indifférence ne nous empêche pas d’emmagasiner. Simplement, ne nous testez pas pour vous rassurez de n’avoir pas travaillé pour rien.»

 

-Comment envisagez-vous l'âge adulte? Est-ce une impression ou vous ne vous voyez pas très bien vieillir à Sivignon?

« Sans visage l’avenir. Mortelle question. La punition risque d’être rude quand mes vieux porteront leur humanité au-delà. Prendre le problème à la légère pour l’instant. Non je ne vieillirai même pas à Sivignon. Pourtant Sivignon c’est important, les habitants de ce village ont aidé à soulever la montagne. Nous sommes venus y vivre pour que je puisse crier ma rage, sans déranger, s’il vous plaît, je le regretterai, c’est sûr, même si j’ai envie de voyager.»

 

-Le lycée ?

« Le lycée c’est le moment de mon voyage : naissance déprimante, comblée par l’amour des parents, 3 années de détresse, puis le travail qui commence, les institutions insuffisantes et, soleil, l’écriture, je saute dans l’école de Suin, grande classe unique et primaire et d’un bond au-dessus du collège, le lycée. Moi, converti à l’espoir ! Espoir et désespoir, balayons les encore une fois. Non ! Je n’ai pas d’amis, sinon de passage. Ils sont là, jeunes, beaux et belles, loin de moi qui continue de les effrayer. Irréductible, je continuerai de rire, seul, s’il le faut. »

 

Le Figaro: 18 septembre 2004

 

- Pouvez-vous décrire la transformation intérieure amorcée par la possibilité de vous exprimer ? Avant votre naissance à 12 ans, formuliez-vous en vous-même vos sentiments, ce que vous auriez voulu dire ?

« Je vais répéter une idée du livre, les mots n’habillent pas les pensées, à l’origine, c’est le contact avec l’extérieur qui légitime leur existence. On ne peut pas limiter les pensées au nombre de mots que chacun connaît. Ainsi j’étais avant cette seconde naissance tardive. Persuadé de ne jamais pouvoir utiliser les mots, je libérais mes pensées au-delà des limites du langage. La maturité progressive des enseignements que j’ai reçu m’a amené à créer des moyens pour transporter mes pensées. Je les appelle singes agiles sur des ponts suspendus. Je jouais le plus souvent avec eux. Un singe s’appelait JE, un autre BRULE. Quand JE sautais sur BRULE, je m’enflammais et ainsi pour tous les mots que j’emmagasinais. J’avais besoin de compagnons de plus en plus nombreux, avec des noms de mots. Personnellement, je n’envisageais pas de possibilité de contact avec l’extérieur. Je n’avais aucune raison à ma place. Avec l’écriture, mon rôle a changé, pris au collet de la rentabilité. Pour l’instant je baigne dans une légère brise hystérique, solaire. Je me pénètre de la responsabilité du bonheur possible, pour moi et pour ceux qui m’entourent. Meilleure vie ! »

 

-Pouvez-vous préciser quelle sorte de relation vous avez avec votre père ? Vous dites que vous êtes son maître ?

« Son maître, bien sûr. Je lui ai enseigné la patience, élargi son champ de questions, donc de doutes et avec moi cela ne manquait pas, appris à maîtriser son corps pour aider le mien, déterminé son esprit à clarifier ses désirs, ses choix, sondé son cœur merveilleux pour fonder la certitude de son amour…Je le connais, il va rutiler de joie. Son maître, bien sûr, sinon, il aurait été le mien.»

 

-Quand vous rêvez, la nuit, vous sentez-vous en possession de vos pleines capacités physiques ?

« Non ! Je le rêve mais je cauchemarde aussi, empêtré dans mes draps, que ma vie est encore pire. Je ris tous les matins en me réveillant. »

 

-Pouvez-vous préciser votre ressentiment à l'égard de "ceux qui s'occupent des personnes handicapées" ?

« J’étais en pétard ! Viré pour avoir progressé. Bombe sur ma tête. C’était l’aveu sommaire de l’impossibilité de progresser. Dans ces maisons, l’ombre s’abat sur nous. »

 

-Vous évoquez le "sens" de votre vie dans ces conditions physiques, pour vous et vos proches ? Pouvez-vous préciser ? Croyez-vous vraiment à la réincarnation ?

« Le sens d’une vie existe en dehors de toute mystique. C’est concret. Mon sens était de périr, en survivant, ou d’en sortir. Pour mes proches, ils me consacraient leur vie, c’est un choix. Je ne fais aucune culpabilité. Je suis heureux de les connaître. Ils n’abusent pas de leurs pouvoirs sur moi. J’ai aboli les limites du temps, hors les préoccupations quotidiennes. Je vis dans le passé, dans le présent et dans le futur, où je deviens l’individu X. Je rencontre ceux que j’admire et nous dialoguons. Des fois je rapporte ce qu’ils m’ont transmis. A ma vertu obligée, je désobéis et, ludique, je noue des passions. Fuite en avant, en arrière ou sur place ? Rideau de fantômes ayant existé, je les réincarne en eux-mêmes ou en qui je veux. »

 

RTL: 24 septembre 2004

 

Quel est votre état d`esprit a la veille de la parution de votre livre

« Mon état d’esprit luit merveilleusement. Je m’inonde du bonheur présent pour laminer le passé. »

 


Ce qui vous est le plus cher dans votre vie aujourd hui.

« La reconnaissance de mon livre et pas du handicapé, c’est ce que je ressens. J’ai beaucoup travaillé, je ne suis pas un prodige frappé par une baguette magique et qui se la coule douce en regardant la fontaine couler. »



Votre mot préféré et pourquoi

« Merde ! De ce qui est défendu, il est le sommet de mon interdit. Beaucoup m’est interdit. La parole me manque pour dire ce mot que je voudrais parfois opposer aux autres, librement. »

 

Hachette: 20 septembre 2004

 


Comment est née l'idée de ce livre ? Que représente pour vous l'écriture, et le fait d'être publié ?

« Fatidique, ce livre devait exister. La vérité de ce livre c’est qu’il n’était pas voulu au début, son évidence manquait de raison. La décision de le publier a été son baptême. L’écriture, le verbe visible est ma seule parole. Finalement comme je m’amusais de mes babillages, la voie semblait ouverte pour une raison de vivre. Mieux vaut s’amuser que pourrir d’ennui. Peut-être vais-je être payé pour m’amuser ? Je ne peux pas penser pour l’instant, par honnêteté, à ce que tout cela représente. »

 


Votre journal de bord commence dans un style « désordonné », qui s'affranchit de la syntaxe et n'utilise que des mots simples (« je dis à vous secret ») Puis votre écriture évolue, s'enrichit, devient flamboyante parfois. Quel signe faut-il voir dans cette « progression ? »

« A toute écriture on doit le permis de sommeil. Je veux dire qu’on ne doit pas la réveiller brutalement. On ne peut que l’écouter patiemment, et j’ai le temps. C’est elle qui surgit, plus ou moins bondissante au début. Misérable, parfois, elle n’ose pas sortir. Respecter, confiant. Les nuages se dénouent et la laisse flamboyer. Il faut l’attendre et quand elle se présente, l’inviter. La progression est due à l’apprentissage accéléré pris depuis le début des premiers mots, école primaire, lycée et surtout à la maison. »

 


Toujours au début de votre journal, les mots « farce » et « grave » reviennent souvent. Vivez-vous votre existence comme une « farce grave ? » Et d'ailleurs, toutes les existences ne le sont-elles pas ?

« Je ne prend pas le risque, politiquement correct avant tout, de parler au nom de toutes les vies. Pour moi la farce louvoie sur toutes les scènes. Elle est notre dérision. Rigolo après tout de croire que quelques forêts de mots vont combler mes manques. Je ne m’attends à rien de ce côté là. Ce portrait m’a tranché la vie en deux, avant et maintenant. Handicapé d’abord, puis détraqué aujourd’hui, c’est à dire un peu réparé. Ma vie nouvelle m’attend et j’ignore ce qu’elle sera, comme je l’ignorais au premier jour. J’ai la gravité figée au cœur, la peur privée, du malheur qui pourrait succéder à l’instant. Et ça c’est plutôt dérisoire de perdre son temps aux sortilèges du futur. La farce c’est quand le futur ne répond pas à ce qu’on en attendait. »

 


Vous plaidez pour une relation différente entre les handicapés et les « handicapés de la relation », justement, comme vous les baptisez. Comment souhaitez-vous être perçu ? Quelle sorte de rapport à l'autre appelez-vous de vos voeux ?

« Si l’autre a son chemin à faire, je n’ai aucun vœu à formuler, c’est plutôt à lui d’en imaginer pour changer. Moi, il m’arrive, perméable aux critiques, de souhaiter me rendre intéressant pour attirer cet autre, ça n’a jamais payé. »

 

Comment se transforme peu à peu la relation, si forte, avec votre père et avec votre mère ?

« Fortissimo de plus en plus ! Encore plus d’amour, de passion, d’émotions, de respect, de joie d’entreprendre, de colères que malheureusement nous rabattons sur nous-mêmes. Quand on vit corps à corps tous les actes quotidiens, on ne relâche pas facilement, on se tient. Sinon c’est la chute.»

 


Votre état semble vous rapprochez de Dieu. Quelle foi est la vôtre, dans votre « enfer me ment ?»

« Dieu va et vient dans ma vie, ma foi aussi. Porter Dieu aux nues pour ce qui nous arrive n’est pas lui rendre service. Le divin ne se monnaye pas, ne se pèse pas. Nous devrions lui permettre de se reposer plus d’un jour après tout ce qu’il a mis à notre disposition. Nous ressemblons à des clients insatisfaits de supermarché. Après tout, nous ne devrions même pas en parler de Dieu, ni même le nommer, le mander dès que nous larmoyons. Marcher, parler peut limiter les pensées, l’immobilité est une cuve où fermente constamment la conviction de l’ignorance. L’Enfer me ment parce qu’il me laisse voir un coin de ciel bleu. « Heureux les simples d’esprit ». »

 


La réincarnation tient une place importante dans votre journal. Incarné, désincarné, réincarné, que représentent ces mots pour vous ?

« La réincarnation est un principe imaginaire, sans preuve. Je ne peux dire que : je suis habité par tant de vies qui me semblent si intenses, pleines de détails…J’ai cru, je crois, croirai-je ? Ne croyez pas, vous, à ma parole. »

 

Votre univers est-il « kafkaïen ? »

« Suis-je son cloporte réincarné ? Sa victime surprise de la douleur inscrite dans sa chair ? Serais-je heureux dans mes labyrinthes ? Kafka a-t-il éprouvé du bonheur à fréquenter ses univers ? Je suis sûr que oui. Vite un mémorial à ce grand poète. »

 

Etes-vous un homme libre ?

«Si désirer l’être est suffisant, je m’en contenterai. »

 


A presque 18 ans, Paul Melki, habitant Sivignon près de Suin, publie son 2ème livre « Journal de Bord d’un détraqué moteur » aux éditions Calman-Lévy. Sortie officielle le 29 septembre. Presses et télévisions se succèdent depuis quelques semaines pour rencontrer cet adolescent au talent littéraire incontestable. Nous l’avons questionné.

 

Journal de Saône et Loire: 23 septembre 2004 :

 

- Comment doit-on te présenter à nos lecteurs ?

« Pouvez-vous imaginer la différence entre le corps et l’esprit ? Faites le grand écart en exagérant encore plus et vous aurez une mesure approximative. Je ne peux me passer d’aide pour toutes les activités extérieures mais je peux, parfois, écrire une histoire en peu de temps. Prenez-moi comme je suis. »

 

- Quel est ton quotidien ?

« Un quotidien de forçat mais nécessaire. Une demi journée d’entraînement moteur, une demi journée de lycée, plus les devoirs, les massages, la lecture. Je n’oublie pas de manger de bonnes choses. »

 

-Tu es scolarisé au lycée Julien Wittmer à Charolles, pourquoi ? Ne serait-il pas plus facile d’avoir un professeur à domicile ?

« Plus d’isolement, jamais plus de clandestinité. Plus d’animal solitaire inculte, comment pourrait-il en être autrement, enfermé, même avec les meilleurs professeurs? L’époque moderne est communicante. Je veux voir du monde, des partenaires avec qui je partage le même souci de stimulation, le même souci d’accomplissement. »

-D’où t’est venu l’idée d’écrire et de publier ?

« L’idée n’est pas neuve ! Le plaisir de pouvoir en fin communiquer à l’âge de 12 ans, à créé le plaisir d’écrire à 13 ans. Par ces plaisirs, je pouvais procurer de la joie à ceux qui m’entourent et à 15 ans, surtout à partir du lycée, j’ai éprouvé l’euphorie de faire de mieux en mieux, cela devenait une seconde vie pour moi. J’ai lancé l’idée de publier en trouvant le titre : « Journal de bord d’un détraqué moteur », cela a du provoquer un choc, tout a été très vite à partir de ce moment. Les textes ont été envoyés à des éditeurs. »

 

-Comment écrivais-tu ?

« Par l’intermédiaire d’un petit clavier, ma main soutenue par une main amie et surtout docile à mes mouvements saccadés, donc me connaissant bien. »

 

-Envisageais-tu une carrière littéraire ?

« La carrière littéraire me fait chaud dans le dos, quand je suppose l’avenir. En suis-je capable ? »

 

-As-tu un modèle d’écrivain ou un « maître à penser » ?

« Pas de maître. Celui avec qui je partage ses connaissances, écrivain, musicien…devient un ami. Je converse avec lui, même s’il est sensé être mort depuis 500 ans. Ce sont mes fantômes compagnons. La route principale de ma vie ne comporte pas beaucoup de sorties, ni d’entrées. Alors autant créer.»

 

- Prépares-tu un nouveau livre ? Si oui sur quel thème ?

« Pour moi, l’écriture ne s’arrête jamais, elle est obligatoirement liée à ma vie, jour après jour. Pas de thème précis en ce moment. »

 

-Qu’aimerais-tu dire à nos lecteurs pour présenter « Journal de bord d’un détraqué moteur ?

« Pour vous, je souhaite qu’il soit un moment de plaisir, bien que ce soit probablement un plaisir différent de beaucoup de vos lectures, un moment d’émotion partagé, sans tristesse. »

 

Lire: 20 septembre 2004

 

-Vous, Paul Melki, comment vivez-vous le « phénomène » médiatique autour de votre personne ?

« Je ne le vis que peu, sauf pour répondre aux questions. Ma vie n’a pas changé et n’est pas prête de changer.»

 

-Vous pensez garder l’esprit clair malgré le succès qui vous arrive aussi jeune?

« Ma normalité existe, même si elle n’est pas identique à la votre. Je n’ai aucune idée de ce qu’est un esprit clair. C’est vrai que ça bouillonne encore plus mais le bouillon est surtout désir d’écrire. C’est ma boîte de nuit, ma fête avec des copains, mes séductions, mes voyages , mes folies dépensières…Je n’ai pu trouver une pleine lucidité sur mon état qu’avec la sortie du livre. »

 

-Qu’aimeriez-vous que vos lecteurs vous disent ?

« Un mot gentil de pitié. NON ! NON ! Une réponse de cœur, pas suave, pas complaisante. »

 

-Que représente l’écriture pour vous ?

« Tout cloaque a ses avantages, l’écriture me fait oublier que j’y suis. »

 

-Quel serait le plus beau compliment qu’on pourrait vous faire ?

« Votre lumineux livre fourmille d’idées. »

 

-Que détestez-vous qu’on vous dise ?

« Des mensonges. »

 

-Qu’est-ce que c’est qu’être heureux, selon vous ?

« Vivre en Confiance, c’est un pays merveilleux. »

 

-Le Journal d’un détraqué moteur, Vous l’avez écrit sur 5 ans environ. A quel rythme ? C'est à dire comment s’est passé la rédaction de ce livre ?

«Pendant 2 ans au rythme d’une page par mois, avec Nathalie, mon orthophoniste. Puis d’autres personnes ont appris à m’apporter leur aide, 7 en tout. 4 années durant ce ne fut qu’un moyen de communiquer.»

 

-Comment s’est passé la publication du Journal d’un détraqué moteur ? (choix de l’éditeur, étapes, réécriture éventuelle, etc.)

«Mon père se posait de sérieuses questions sur la qualité des textes. Il avait la faiblesse de les aimer. Aucune intention de livre n’a existé avant cette intuition paternelle. Pas une page vertueusement conservée dans un but livresque. C’est un monologue dialogué avec mes proches. Eux parlent et moi j’écris. Une première lecture familiale d’un bout à bout de toutes ces années a échauffé les esprits à échafauder des futurs possibles. Un 2éme cercle d’amis a étayé ce qui n’était encore qu’élucubrations. Un 1er livre était déjà paru, pourquoi pas un 2éme ? Les textes ont atteints les antres, réputées inexpugnables, de grands éditeurs. Peut-être mes mots étaient-ils magiques, des portes se sont ouvertes avec prudence mais avec grâce aussi. Il y a même eu des déchirements douloureux pour choisir. L’acceptation du texte intégral sans ajout, ni retrait a décidé du sort. Il faut clamer haut et fort le travail extrêmement respectueux, oui j’insiste , digne, avec toute l’équipe de Calmann Lévy. »

 

-Vous avez écrit un recueil de poèmes auparavant et vous en écrivez çà et là dans le Journal : qu’est ce qui vous plaît dans ce mode d’expression qu’est la poésie ?

« C’est le moyen le plus rapide et le plus persuasif de mon état d’émotion, ou autre comme la faim, la soif, que j’ai trouvé pour expédier mes messages urgents, mes temps d’écritures sont brefs. J’ apprécie chez des auteurs ce style malicieux des vers qui sous des airs de rose vous envoie des coups de poing. »

 

-Que pensez-vous de ce livre aujourd’hui ? Vous sentez-vous proche, loin, ému par son contenu ?

« Franchement, si mon livre pouvait m’émouvoir encore, c’est que je souffrirais beaucoup de ses tourments. A vivre avec modération ! Mieux vaut qu’il émeuve les lecteurs. Mon livre pèse le poids de ma vie, léger mais costaud. Je rêve ! Mes parents me touchent, ils n’arrivent pas à y croire. »

 

-Quelles sont vos lectures préférées ?

« Si je choisissais, je risquerais de fâcher ma lectrice, qui serait persuadée que je n’aimais pas les autres. Je paraîtrais indécis ou prétentieux en affirmant tous. Pourtant c’est vrai. Du plus modeste roman au récit le plus glorieux, allez disons de Mr. Oui Oui au récit d’Homère, ils m’ont tous nourri, enrichi de ces contacts avec l’extérieur. Tous m’ont enseigné des mots, des idées, des contres- idées, des styles, des musicalités… »

 

-De quoi nourrissez-vous votre imaginaire ?

« De mes désirs. »

 

-Quels univers vous fascinent (la mythologie grecque par exemple ?)

« Nul univers ne me fascine plus que le votre. Sinon je vénère les époques où les idées fortes avancent, peuplées de personnages créatifs. La notre ne manque pas d’animations, les scientifiques sont les plus intéressantes. Imaginez-vous mon sort il y a à peine 50 ans ? »

 

--A quoi pour vous sert la littérature ?

« A éliminer la peur, celle de mon silence passé, celle de mes parents, celle de ceux qui me contemplent pantois sur mes 4 roues. Celui qui ne se lève jamais pour vous saluer. Ne croyez pas que nous ne soyons pas sensibles aux usages que nous ne pouvons pas honorer. A légitimer mon plaisir de vivre, mon droit de vivre, à fraterniser quand les cœurs‘ouvrent, à sourire, à rire devant les regards qui découvrent que le poulbot figé sur la toile n’est pas que miséreux. A espérer contraindre le destin à poursuivre ce chemin, moins désastreux que les prévisions météorologiques qui ont couronné de sérieux nuages ma naissance. Pour l’instant ce sera tout. Je verrai si je peux avoir de plus belles idées plus tard. »